Hérité d’Hergé (Ecole de Bruxelles), le style ligne claire est très présent dans la bande dessinée classique. Il se caractérise par un graphisme sobre où les contours et les couleurs des décors, des objets et des personnages sont délimités par un trait d’encre noire d’épaisseur constante. L’effet d’ombre et de lumière ainsi que la texturation par hachures ne sont pas utilisés.
Les dessins se veulent nets et réalistes. Avec l’avènement du roman graphique à la fin des années 70, de nouveaux styles graphiques ont émergé, plus solennels, plus expressifs, plus psychédéliques… à la hauteur de récits plus adultes, de récits plus personnels, plus sombres.
Petit focus avec Nelly Mitja sur 10 auteurs dont les graphismes originaux ne peuvent nous laisser insensibles
10. Khalil
Khalil est le pseudonyme d’un dessinateur de presse et sculpteur qui a fait le choix de rester anonyme suite à la parution en 2011 de l’album de Zahra’s Paradise (d’abord publié sur le web) qui revient sur le contexte iranien de 2009 et les dessous de la révolution verte. Le récit, fictif mais inspiré de nombreux témoignages, est illustré par un graphisme très réaliste proche de la ligne claire. Très riche également, le graphisme de Khalil nous retranscrit avec un certain onirisme la mécanique politique du régime en place. A ce titre, une double page nous interpelle particulièrement (Pages 168 et 169), celle des « entrailles du système judiciaire de la république islamique » qui n’obéit qu’à la seule loi des mollahs.
09.Chris Ware
Un peu de couleur avec l’américain Chris Ware !!! Peu connu en France, Chris Ware (Acme Novelty Library, Rusty Brown…) est un auteur reconnu et ultra primé outre-Atlantique pour son maniement du lettrage et des couleurs. Novateur, atypique, intemporel, omniprésent dans la conception de ses albums, l’auteur est un graphiste rompu aux techniques de typographie et de PAO qu’il conjugue avec zèle à tous les temps et dans tous les formats pour nous transporter dans son univers, celui de l’évolution de l’être dans la société américaine contemporaine.
08. Robert Crumb
Si nous pourrions croire que le dessinateur américain Robert Crumb (Fritz le chat, La Genèse…) a un problème avec les femmes… disons plutôt qu’il en fait une véritable obsession. Grandes, fortes, généreuses… chez Crumb, les femmes sont surdimensionnées, tant par leurs proportions que par leurs appétits divers. En résulte un graphisme effervescent, névrosé, pour ne pas dire carrément psychédélique, très révélateur du comics underground (satirique, exagéré, souvent obscène) dont Robert Crumb fait figure de chef de file.
07. Charles Burns
Tintin, Batman, Spiderman, les séries d’horreur, le comics policier de Chester Gould ou encore le comics underground de Crumb… les influences de Charles Burns (Big Baby, Fleur de peau, Black Hole…), sont aussi diverses que variées. Résultat, un univers chimérique qui s’est notamment illustré dans la revue américaine de bande dessinée Raw dirigée par Art Spiegelman et Françoise Mouly. Charles Burns, c’est aussi des personnages hybrides qui semblent opérer une mutation transgénique. Juxtaposant les masses noires et blanches, les traits sont concis, à la manière de la ligne claire, mais épais, ce qui donne à son graphisme beaucoup d’esthétisme et de froideur.
06. Joe Sacco
Influencé par le comics underground de Robert Crumb, Joe Sacco (Palestine, Reportages, Journal d’un défaitiste…), qui n’hésite pas à user du style caricatural quand il est question de se mettre en scène, est l’un des précurseurs si ce n’est la figure emblématique de la BD de reportage. Adepte du noir et blanc, qu’il reconnaît préférer à la couleur avec laquelle il se sent moins confortable, Joe Sacco s’emploie à travailler les textures. Le hachurage et les ombrages sont ainsi devenus sa marque de fabrique. Autre particularité de l’auteur, la disposition des vignettes et des cartouches qu’il distribue sur les planches à la manière d’un jeu de cartes.
05. Shaun Tan
L’australien Shaun Tan (La chose perdue, Cigale…), pour qui peindre et dessiner « n’est pas une question de création mais de transformation », est sans nul doute un des auteurs les plus talentueux et pluridisciplinaire de sa génération. De la technique du scratchboard à la linogravure, en passant par l’utilisation du crayon pastel, de la gouache, de l’aquarelle et de la plume, l’auteur s’est illustré en 2007 avec l’album Là où vont nos pères (Dargaud) dont le graphisme est proche de celui de la photographie. Dans cet album muet aux tonalités sépia, l’auteur, qui nous livre le parcours d’un homme contraint de tout quitter pour assurer aux siens un avenir meilleur, relève avec succès l’exercice difficile de la narration visuelle qui laisse au lecteur le soin d’y superposer ses propres émotions.
04. David B.
Cofondateur de la maison d’édition l’Association, représentant de « la nouvelle bande dessinée », David B. (Le cheval blême, L’ascension du Haut Mal, Les meilleurs ennemis…), c’est un univers insolite empreint d’ésotérisme où le rêve et la nuit s’entrelacent. Ainsi, le travail sur aplat noir est très caractéristique de son style à la fois épuré et rageur qui contribue grandement à renforcer le sentiment de détresse des personnages de ses récits. Dans la même lignée, bien que les traits soient moins acérés, nous pouvons également citer la franco-iranienne Marjane Satrapi ou encore la franco-libanaise Zeina Abirached.
03. Craig Thompson
Connu pour la densité de ses œuvres (…qui pèsent leur poids), l’américain Craig Thompson (Blankets, Habibi, Space Boulettes) l’est également pour son graphisme. Fasciné par l’art oriental du XIXème siècle, la calligraphie arabe, les formes géométriques et les ornements sont très présents dans ses œuvres, notamment dans son roman graphique Habibi (Casterman) où les mots et les images s’entremêlent. Le résultat est envoûtant et nous plonge littéralement dans le récit.
02. Landis Blair
L’univers sombre, austère, pour ne pas dire macabre de l’américain Landis Blair (The Envious Siblings: and Other Morbid Nursery Rhymes, From Here to Eternity L’accident de chasse) est très empreint de celui de l’illustrateur Edward Gorey (Amphigorey) qui a également influencé le cinéaste Tim Burton.Son graphisme noir et blanc, qui nous fait tout de suite penser à la technique du scratchboard, se distingue par son hyper texturation qui implique le maniement habile de la plume et l’utilisation de la hachure. Le résultat est saisissant, digne d’un travail d’orfèvre.De ce style très singulier, où les détails fourmillent, se dégagent des atmosphères étranges, sordides, souvent anxiogènes qui habillent on ne peut mieux les récits qui le sont tout autant.
01. Mezzo
Influencé à ses débuts par le style ligne claire de l’Ecole de Bruxelles et le comics underground US, Mezzo (Les désarmés, Le roi des mouches, Love in vain), a réussi à développer un style qui lui est propre, la ligne noire.
Mezzo ne dessine pas, il sculpte et biseaute ses personnages dans des blocs de masses noires comme pour mieux révéler toute la lumière et l’obscurité de leur âme. Le résultat, des planches d’un réalisme et d’un expressionnisme sans pareil qui peuvent s’abstraire de tout récit.
A ce titre, l’album Love in Vain (Glénat) sur lequel le dessinateur a collaboré avec Jean-Michel Dupont, est le plus représentatif de son style. Dans la même veine, nous retrouvons également le dessinateur espagnol Paco Ignacio Taibo II dont les planches de Pancho Villa, La bataille de Zacatecas (Nada) sont de véritables gravures.
Pour aller plus loin, retrouvez les articles de Nelly Mitja sur l’univers de la BD
Auteur : Nelly Mitja